Diablerets – I (2014) autoproduction
Diablerets est un duo suisse formé par Grant Hailey (bass,
programming, vocals, drums) et AsCl3 (vocals, bass, FX, programming). Les deux
artistes sont actifs aussi dans le groupe de death metal mélodique Path Of
Desolation. Diablerets évolue dans un registre black metal / doom / drone et a
sorti son premier album I en 2014 sous forme de cassette audio en tirage limité
à 75 exemplaires (numérotés à la main) et en format numérique (digital). La
cassette audio est rouge et se trouve renfermée dans un boîtier cartonné découpé
à la main.
Diablerets tire son nom du massif montagneux des Alpes bernoises,
situé aux confins des cantons de Vaud, du Valais et de Berne. Diablerets est
aussi le nom du sommet qui se trouve dans le même massif et qui avec ses 3 210
mètres d'altitude se trouve être le point culminant.
Étymologiquement on peut interpréter le mot Diablerets de deux façons [1] :
1. composé par le mot « diable » plus le suffixe collectif -er
et le suffixe diminutif –et. Ceci donne alors "le lieu où se trouvent
plusieurs diables ou diablotins".
2. composé par le mot « diable » plus le suffixe collectif –eret. Ceci donne alors "le lieu où le
diable est présent / se manifeste".
Ce texte nous semble bien résumer les faits :
Avant que les montagnes ne deviennent objets d’études et de loisirs, les plus hautes cimes étaient entourées d’un grand mystère. On les disait hantées par des esprits, voir par Le Malin en personne. D’où par exemple le nom du massif des Diablerets, à la frontière des cantons de Vaud et du Valais, que l’on croyait habité par des démons censés y jouer aux quilles avec des rochers qui s’effondraient régulièrement sur les villages en contrebas. Cette légende est d’ailleurs à l’origine du nom du roc situé au Sud de ce massif: la Quille-du-Diable. [source]
Diablerets logo |
Si les montagnes sont habitées par le diable en même temps la montagne
est symbole d’élévation physique et intérieur. Voici encore une citation du
poète anglais Lord Byron :
Au-dessus de ma tête sont les Alpes, palais de la nature, dont les vastes remparts portent leurs créneaux blanchâtres jusque dans les nuages ; palais sublime d'une glace éternelle, où se forme l'avalanche, cette foudre de neige. Tout ce qui effraie et agrandit l'âme en même temps est réuni sur ces antiques sommets. Ils semblent montrer jusqu'à quel point la terre peut s'approcher du ciel et laisser au-dessous l'homme orgueilleux. [source]
Diablerets – I se présente sous forme de 5 titres pour une durée
d’environ de 39 minutes. Le premier titre Lurk
In The Stones sans parole se
présente comme un son primordial où la voix émet des sons, des appels, des
invocations sur un fond sonore opaque, lourd où les notes sont tenues le plus
possible. On est en plein drone pour le son avec une touche doom parce que un
sens d’inéluctabilité saisi l’auditeur. L’atmosphère est aussi à mettre en
relation au black metal pour ce grunt / growl torturé et malsain. Les autres
titres comportent un texte mais vu la forme de ces textes on peut plutôt les
définir comme des vers poétiques ou des aphorismes.
Il est difficile de décrire cet album. Plus facile de dire ce qu’il
n’est pas. J’avais chroniqué l’album The City Beneath de Subterrestrial. Il
s’agissait de drone mais il n’y avait aucune évolution. L’idée était de montrer
le bruit, les vibrations d’une ville engloutie et ceci se manifestait comme un
bruit de fond permanent. Diablerets met en musique un univers sombre, torturé,
extrême. Il ne faut pas jouer du "blast beat" à tout va pour obtenir un son
extrême et ceci apparaît bien clair à l’écoute de I.
L’ascension au massif de Diablerets est un paradoxe. D’un côté il nous
semble de monter vers l’absolu symbolisé par la montagne. De l’autre on plonge
dans les tréfonds de notre âme et on trouve une noirceur absolue. Élévation
d’un côté, dissolution de l’autre. Peut-être qu’il se trouve ici une assonance
avec le principe des alchimistes le « solve et coagula » qui semble
renfermer le secret du Grand Œuvre. Le terme « solve » est parfois représenté par un signe qui
montre le Ciel (on pourrait dire la montagne), et le terme
« coagula » par un signe qui montre la Terre (notre intériorité).
Voici alors que Diablerets avec son premier album I ne réalise pas
seulement de la musique extrême mais un
moyen d’explorer et de laisser libre cours à un cheminement intérieur. Un très
bon premier album qui ne laisse pas indifférent à condition d’accepter le défi
qu’il lance, c'est-à-dire de se mettre à l’épreuve sans savoir d’abord ce que
l’on peut trouver dans notre âme / esprit / conscience.
Pour terminer cette chronique je voudrais encore dire que cet album
propose des analogies, certes poussées, avec deux artistes. D’abord avec
l’œuvre Une symphonie alpestre, op. 64 (Eine Alpensinfonie) de Richard Strauss
composée entre 1911 et 1915. Le compositeur classique Strauss aimait la montagne
à tel point qu’il a fait construire sa maison en 1908 à Garmish dans les Alpes
bavaroises et il y a habité jusqu'à sa mort en 1949. La symphonie alpestre est jouée comme un tout, sans aucune coupure (même si à l’intérieur
on compte 22 parties). Diablerets fait pareil : les 5 titres s’écoutent
l’un après l’autre mais l’effet est celui d’avoir un tout sans aucune coupure.
La deuxième analogie je la voie avec le groupe italien HomSelvareg. HomSelvareg
est un groupe de black metal d’Italie du nord qui a sorti son premier album
homonyme en 2006 (et le deuxième album Catastrofe vient de sortir). HomSelvareg
aime les Alpes et son nom est tiré d’une créature légendaire qui habitait les
Alpes et qui vivait en harmonie avec la nature. Le premier album raconte comme
un concept l’histoire de cette créature et de la lutte que les hommes lui
ont vouée. On comprend tout de suite que les montagnes sont des êtres
ancestrales et que cette sorte d’homme primordial est le seul à avoir la clé
pour y vivre dignement. L’assonance avec Diablerets est donnée par cette
interprétation de la montagne comme lieu mythique, primordial, puissant.
Bonne écoute.
Score 9/10
Diablerets - I (2014) - cassette audio - limited édition handmade |
Diablerets - I (2014) - cassette audio |
[1] NOMS DE
LIEUX DE SUISSE ROMANDE, SAVOIE ET ENVIRONS – Glossaire http://henrysuter.ch/glossaires/topoD0.html
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