Netra – Ingrats (2017) / Hypnotic Dirge Records
Après quatre ans de silence, Netra
revient sur le devant de la scène avec son nouvel album Ingrats, sorti encore une fois (puisque on ne change pas une équipe
qui gagne) via Hypnotic Dirge Records.
Juste pour rappel, Netra est à la
fois le nom de l’artiste et du groupe. Netra
est une one-man-band fondée en 2003 par Netra qui en réalité est Steven Le Moan.
Steven a beaucoup voyagé entre Quimper, Gjøvik (Norvège), l’Allemagne (au
moment où l’écriture d’Ingrats a
commencée) et ensuite à Auckland en Nouvelle Zélande. Après avoir réalisé les
démos Emlazh (2005) et Mélancolie Urbaine (2006), Netra publie son premier album via Hypnotic Dirge Records en 2010 qui se
nomme Mélancolie Urbaine. Vient le
temps ensuite de Sørbyen (2012) via
HDR, de la collaboration avec le duo rap We'rewolves
qui a donné l’EP Dreading Consciousness
(2013) via HDR.
Netra fait du Netra
c'est-à-dire un black metal moderne et hybride puisque dans sa racine black il
incorpore des éléments jazz, trip hop, Dark Wave, rock alternatif, samplers
tiré de films. Sur le papier ceci peut paraître « incongru » mais le
résultat est époustouflant. L’album s’ouvre avec Gimme a break qui se présente comme un intro instrumental jazz
apaisant. Everything's Fine est une
déferlante black metal : tremolo picking et voix écorchée. A la deuxième
minute environs, il y a un changement de tempo et de son, avant de reprendre son
côté extrême et encore un changement de temps chanté en voix claire. Ce titre
est une alternance de clair-obscur où le côté sombre est quand même
prédominant. C’est un titre rentre dédains qui reste bien en tête. Underneath My Words the Ruins of Yours est un instrumental mid-tempo. Ce titre
possède un aspect de répétition autour d’un même thème mais avec des variations
(un son plus “electro” qui fait son apparition, par exemple). Si tout l’album
est de très grande facture, nous avons un faible pour Live with It. Ce titre est sobre, chanté en voix claire, la
batterie est légère et les notes de piano ponctuent une mélodie simple et
presque désincarnée. Il y a un changement de tempo final qui accélère le tempo
et fait basculer ce titre. Je trouve des échos avec Depeche Mode, Paradise Lost
(période Host), Germe (et son album Grief). Juste des échos, puisque si vous
connaissez Netra, vous verrez qu’il
a son propre style. Infinite Boredom
est un instrumental au piano où on entend la pluie en fond sonore. Ce titre qui
illustre l’ennuie est – peut-être – à mettre en lien avec le titre Blasé qui figurait sur Mélancolie Urbaine. Blasé peut avoir deux clés de lecture : d’abord un clin d’œil
au morceau Blasé du saxophoniste de
jazz américain Archie Shepp et de l’autre Blasé
comme pour indiquer l’état d’âme de quelqu’un qui n’a plus le goût pour les
choses.
Blasé montrait l’ennui par
une batterie répétitive et monotone et un piano. Ici, Infinite Boredom, montre l’ennui par la pluie qui tombe de façon
monotone et un piano.
Vue de la ville d'Auckland |
Don't Keep Me Waiting est un
titre puissant, sombre, claustrophobie où un saxophone évolue dans le noir. Ce
titre présente un sampler tiré du film L’exercice
de l’État (P. Schoeller, 2011) dont le sujet principal est la politique et
surtout les rapports de force. Autrement dit, c’est le combat et les doutes d’une
personne de pouvoir face au pouvoir plus grand qui lui demande d’agir contre
ses désirs et ses valeurs.
A Genuinely Benevolent Man
est encore un titre instrumental qui dans les parties calmes (ceci n’engage que
moi) a des points en commun avec la bande son du film Blade Runner ou encore Strange
Days. On peut s’imaginer la grande ville, la nuit, les lumières, les grands
axes de circulations saturés qui contrastent avec la solitude qui entoure la
ville. A la lisière des lumières de la ville, la nuit rôde. A Genuinely Benevolent Man est un très
bon titre qui varie sa structure au fil du développement mais contient tout le
temps la même couleur et cohérence. Paris
or Me est plus un titre à caractère « bruitiste ». Ses
atmosphères sombres (bruits / samplers) et planantes (piano) coexistent avec
une froideur provoquée par une guitare saturée.
Could've, Should've, Would've
est encore un très bon titre. Chanté en voix claire, la base trip hop est très
présente. Une voix claire s’alterne à une voix chuchotée et le constat est amer
ou mieux lucide :
There is no beginning to thisThere is no thruth, no blissNo happy ending, no heroIt’s the best I canTime has stopped and the rest is down the drain
Très beaux le break à 3 :20 seulement un clavier mélancolique,
sombre, éther, qui donne une nouvelle dynamique au titre. L’album se termine
avec le titre Jusqu'au-boutiste qui
de façon jazz rappelle le premier titre Gimme
a Break. Le black metal des guitares s’arrête pour laisser place encore une
fois à un sampler, tiré cette fois du film Low Down (J. Preiss, 2014). Low Down
est un biopic américain basé sur les mémoires de Amy-Jo Albany dans lesquelles
elle raconte la vie de son père, le célèbre pianiste de jazz Joe Albany et de
sa lutte contre son addiction à la drogue. Ce film est donc une métaphore très
forte qui joue sur plusieurs niveaux : l’amour d’une fille pour son père,
l’importance de la musique, les démons qu’un homme doit affronter. Et ces thèmes sont recrées dans le titre avec
des changements de temps, de sonorités qui se rajoutent (techno + guitare électrique)
de l’accélération. C’est comme si sur un leitmotiv se rajoutaient plusieurs éléments
hétérogènes qui ne sont pas fins à eux-mêmes. Cette surcharge présente deux
aspects : d’un côté le titre Jusqu'au-boutiste
se présente comme une sorte de crescendo et de l’autre on est conscients que
même avec tous les artifices possibles (les plusieurs couches / instruments etc.)
le résultat est le même : la nuit est sombre et ce qui est fait est fait. On
peut juste l’assumer.
Dans cet album Ingrats, Netra retrouve des éléments déjà
présents dans sa discographie comme la pochette qui illustre une ville de nuit
(cf Mélancholie Urbaine) et l’utilisation
de samplers. La ville de la pochette d’Ingrats
est Auckland vue la nuit. Netra ne
nomme pas la ville de la pochette et ne nomme pas non plus les deux samplers
utilisés dans l’album. L’important est que, en utilisant des éléments concrets,
Netra propose des thèmes qui vont
au-delà du réel pour devenir des métaphores. Auckland est la métaphore de la mégalopole,
et les deux samplers sont métaphore l’un des rapports de dominations et l’autre
de la vie d’un homme face à ses succès et ses démons. Il s’agit donc d’un
tableau moderne qui parle à tous et chacun.
Avec Ingrats, Netra propose un album cohérent et
abouti où le côté black metal cohabite avec des éléments hétérogènes qui en soulignent
et en explorent la profondeur.
Score 10/10 (yes it is 10/10)
listen and buy : https://hypnoticdirgerecords.bandcamp.com/album/ingrats
Hypnotic Dirge Records : http://www.hypnoticdirgerecords.com/
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