Verlies – Le Domaine des Hommes (2015)
Hypnotic Dirge Records / Throat Productions
Le premier album des français de
Verlies se nomme Le Domaine Des Hommes et vient de sortir comme coproduction via le label Hypnotic Dirge Records
et Throats Productions. Avant de rentrer dans les détails de la chronique, voici
deux petites réflexions. D’abord il faut savoir que Le Domaine Des Hommes est
sorti d’abord en numérique et ensuite en format physique via deux labels, le
mexicain Throats Productions et le canadien Hypnotic Dirge Records. Notre
exemplaire a été acheté via Hypnotic Dirge Records. La deuxième réflexion, plus
générale est à propos de la démocratisation de la musique. En effet grâce à la
diffusion de plus en plus vaste d’ordinateurs puissants et de logiciels de plus
en plus performants, la musique ou mieux la MAO (musique assistée par
ordinateur) est à la portée de plus en plus de monde. C’est pour cette raison
qu’il y a, je crois, de plus en plus de groupes qui se lancent dans la musique.
De même, grâce aux réseaux sociaux (ou même blog, comme le mien), on est noyé
sous la masse d’informations. Alors parfois je me demande comme un groupe peut
tirer son épingle du jeu puisque il faut qu’il puisse d’abord être bon, ensuite
il doit avoir un vrai message à faire passer. Si on rajoute à ce discours, l’actuelle crise
de l’industrie musicale qui voit les Indies miser sur les produits les plus surs ou
les formats les plus impossibles (vinyles de toutes les couleurs, coffret en
bois, en métal, éditions hyper-limitées) il y a de quoi se questionner.
Finalement avec Verlies et Le
Domaine Des Hommes je pense tenir un bout de réponse. Oui parce le travail, la
qualité, la passion, donnent toujours des résultats. Peu de groupes peuvent se
vanter de sortir un premier album si abouti, intéressant et accompli. Verlies
nous amène dans un voyage très loin dont on n’est pas sûr d’abord de revenir et
ensuite d’en revenir sain d’esprit.
Pour rentrer dans le monde de
Verlies (mot qui en néerlandais signifie « perte ») il faut trouver
la clé voire une clé puisque les niveaux de lectures sont multiples. Nous
pensons en avoir trouvé une grâce à ce texte qui figure sur la page facebook
de Verlies :
Verlies est un arbre qui brule et se consomme, brûlant comme la chair les yeux et
les oreilles de ceux qui la portent, soumis
Si à
coté de cette citation on observe le logo du groupe on trouve un arbre. Et
encore dans le titre L’Abîme du Guide on peut lire : « Ma souffrance
en vaut la peine, ici naîtra un arbre ».
Si l’arbre
est très célèbre dans les mythologies du monde entier puisque avec ses racines
il communique avec le monde des ombres, avec son tronc avec la terre (le monde
des hommes) et ses branches avec le ciel (le monde des dieux), dans l’iconographie
de Verlies l’arbre brûle et se consomme et en faisant ceci consomme et brûle
aussi les hommes qui le portent, qui l’écoutent. C’est un arbre de feu, un
arbre de mort. Il est très intéressant qu’au-delà du message véhiculé par
Verlies il existe en vrai un arbre de feu, il s’agit de l’Hippomane mancinella.
L’Hippomane tient son nom du grec ancien « hippos » – cheval et « mania »
– folie puisque on pensait que les chevaux qui se nourrissaient de ses baies
devenaient fou. Le poète grec Théocrite en parle dans son deuxième Idylle Les
Magiciennes (vv 47-49). Les baies de l’Hippomane mancinella sont toxiques, les feuilles,
la sève peuvent bruler grièvement celui qui les touche. Cet arbre, qui se
trouve dans les régions d’Amérique tropicale est connu aussi comme « Arbre
de Mort ». Dans l’Europe du nord on trouve un autre arbre, l’if, appelé
aussi « arbre de mort » car très toxique.
Promenons-nous dans les bois de notre peine (L'âme du guide) Comme Dante on est perdu dans une sombre forêt |
Musicalement Verlies évolue dans un black metal très sombre avec son chant guttural et ses blast beats abrasifs très convaincants. Mais le groupe va plus loin. Il puise dans un univers que l’on peut définir comme atmosphérique par ses ambiances sombres, ses tempi qui ralentissement par moments, ses arpèges de guitares qui zèbrent les compositions en les dynamisant et en allant plus loin dans le désespoir. Verlies maitrise aussi le chant clair qui se trouve tantôt en alternance avec le chant guttural tantôt mixé avec. Les deux voix ainsi superposée donnent une réelle profondeur à chaque titre et poussent l’auditeur dans ses derniers retranchements. A la manière d’un Deicide qui mixe deux voix, Verlies, en jouant sur plusieurs registres, dispose d’une palette extrêmement vaste.
L’album Le Domaine Des Hommes s’ouvre avec l’instrumental Intro et se clôt par l’instrumental Luna Liquor. Mais
si la présence de deux titres instrumentaux pourrait faire penser que la boucle
est bouclée, ce n’est qu’une impression. Luna Liquor est un titre rehaussé par
la clarinette d’Hélène Miani qui résume toute la noirceur de l’album et la transpose
dans un au-delà encore plus intime et personnel.
Finalement
Verlies se plaît à décrire un univers noir où les mots clé sont l’eau (flots,
vague), le feu (qui brûle et consomme), la haine, le sang, l’ombre. Le noir, le
mal de vivre de l’homme face au Cosmos, est relayé sans cesse pendant tout l’album
et ses accélérations et ses divagations plus acoustiques sont là pour essayer
de décrypter cette souffrance. Si on me demandait qu’est-ce qu’est
Le Domaine Des Hommes, ma réponse (mais pas la seule possible) serait, c’est l’Enfer.
Verlies
avec son premier album signe une très belle réussie. Le black metal est féroce
mais estompé par des pans et des ouvertures plus atmosphériques. La noirceur
est assurée et manifeste. Assumée, même. Verlies comme un arbre, prend racine,
dans le corps de l’auditeur et ne demande qu’à être écouté et propagé. Comme le
propre d’une œuvre d’art.
Score
9,5/10
Line up
N – composition de tous les instruments,
écriture, voix et guitare rythmique sur scène
V – guitare soliste
T – basse
Psycho - batterie